Aujourd’hui, coup de coeur au programme avec « La saison de l’ombre » de Léonora Miano paru chez Grasset durant cette rentrée littéraire 2013. J’en avais déjà entendu parler avant qu’il n’obtienne le prix Fémina, grâce au blog de Sophie Adriansen, dont je vous ai déjà parlé dans une revue du Web précédente.
Le sujet de la traite esclavagiste en Afrique, le devoir de mémoire qui s’est retrouvé occulté et même nié pendant des années et les recherches socio-historiques qui voient le jour à ce propos m’ont interpellée. Pour autant, je ne m’attendais pas à un aussi grand coup de cœur pour ce roman !
Avant de commencer, voici le quatrième de couverture (volontairement incomplet car je trouve qu’il est un peu trop révélateur sur l’intrigue !)
« Si leurs fils ne sont jamais retrouvés, si le ngambi ne révèle pas ce qui leur est arrivé, on ne racontera pas le chagrin de ces mères. La communauté oubliera les dix jeunes initiés, les deux hommes d’âge mûr, évaporés dans l’air au cours du grand incendie. Du feu lui-même, on ne dira plus rien. Qui goûte le souvenir des défaites ? »
Nous sommes en Afrique sub-saharienne, quelque part à l’intérieur des terres, dans le clan Mulungo. Les fils aînés ont disparu, leurs mères sont regroupées à l’écart. Quel malheur vient de s’abattre sur le village ? Où sont les garçons ?
Et la citation du jour est :
« Depuis sa fondation, la devise du clan dit : Je suis parce que nous sommes. Pour la première fois, Mukano a le sentiment de l’avoir foulée aux pieds en ne parvenant pas à imposer sa volonté. Pour lui, ne pas tenter l’impossible pour retrouver les disparus, revient à livrer au néant un morceau de soi-même. »
Tout commence par un incendie et une disparition. Alors qu’une partie du village des Mulungo flambe, douze membres du clan s’évanouissent dans les airs. Et pour le reste du clan et surtout les mères, « celles dont on n’a pas revu les fils » comme les décrit l’auteur, commence la saison de l’ombre. Celle des questions – où sont passés les disparus ? Que leur est-il arrivé ? – des doutes, des soupçons, comme ceux qui s’exerceront injustement envers les mères, et enfin de la découverte du complot dont les Mulungo sont victimes.
Le génie de l’auteur, c’est d’explorer dans ce roman le point de vue des rescapés, de ceux qui ignorent tout de ce qui se passe en-dehors du village. Nous, lecteurs, connaissons les réponses (ou du moins la plupart d’entre elles) aux questions que le clan se pose, et si d’entrée de jeu, il n’existe pas vraiment de suspense à ce sujet, notre empathie en revanche se voit d’entrée de jeu sollicitée, touchée au cœur par le parcours de ces hommes et femmes qui ne comprennent pas ce qui leur arrive.
J’ai eu la gorge nouée devant bon nombre de passages, devant le portrait de ces femmes – même si les hommes sont bel et bien présents dans ce roman, j’ai trouvé qu’une place toute spéciale avait été réservée aux femmes, à commencer par les mères dont je parlais plus haut – à la fois fortes et fragiles, qui réagissent chacune à sa manière face à la catastrophe qui les frappe. Ce que j’ai aussi aimé dans ce roman, c’est la diversité de portraits qui nous est proposée. Ici, pas de héros, pas de personnage mis en valeur, mais un roman choral, comme si l’auteur voulait nous transmettre par leurs yeux l’histoire de tout un peuple.
Diversité des réactions aussi : alors que certains se retranchent dans leur chagrin, d’autres se lancent dans l’inconnu, au-delà des frontières de leur univers, afin de trouver des réponses. D’autres encore empruntent des sentiers d’ombre et en paient le prix. Si j’ai un regret d’ailleurs à ce sujet, c’est le destin d’une partie des personnages (pas trop de précisions, sinon je vais vous spoiler!) qui est un peu vite réglé à mon goût.
Enfin, cette chronique ne serait pas complète si je n’évoquais pas le style puissant de l’auteur, le portrait tracé à vif de la société Mulungo (de quoi mettre à bas bien des conceptions qu’on pourrait avoir à ce sujet d’ailleurs !) et l’extraordinaire richesse des descriptions, en particulier dans les émotions des personnages. L’immersion est si bien menée, tellement réussie que je n’ai eu presque aucun souci avec les termes de la langue douala parsemant ce roman (notez qu’il existe un glossaire à la fin du roman). A noter que les touches fantastiques, que l’on retrouve ci et là dans ce récit, ajoutent un réel plus à cette intrigue.
En conclusion, vous l’aurez compris, c’est un gros coup de cœur pour ce roman envoûtant, que je vous invite à découvrir de toute urgence. Et je vous quitte sur cette dédicace :
« Aux résidents de l’ombre,
Que recouvre le suaire atlantique.
A ceux qui les aimaient. »
Si vous voulez en savoir plus, je vous recommande le site de l’auteur à cette adresse.
Je n’avais pas du tout entendu parler de ce roman (serais-je dans une grotte), et pourtant le sujet m’intéresse grandement ! Je le note avec plaisir, d’autant plus s’il fut un coup de coeur pour toi. Merci beaucoup Cindy !
Je pense plutôt qu’il y a tellement de sorties durant cette rentrée littéraire qu’il est impossible de prêter attention à tous 😉 Moi-même je l’aurais raté si Sophie n’en avait pas parlé. De rien, la Miss, ravie si ca peut t’intéresser 😉
J’ai aussi entendu parler de ce roman, il me fait vraiment envie. J’espère mettre la main dessus l’an prochain. Je trouve que le traitement de la traite par ce point de vue est une excellente idée. Encore bien des deuils qui n’ont jamais pu être faits… le pire étant que ça existe encore.
Comme tu dis… Magnifique écriture, tu vas te régaler!
J’avais déjà dévoré « Blues pour Élise », qui avait été un coup de coeur inattendu. C’est le premier retour que je lis sur le dernier livre de Miano, et il fait très envie : merci !
Mais avec plaisir! Du coup, je note le titre 😉