[Chronique] Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie

americanah

Je ne fais plus vraiment de chroniques littéraires détaillées sur ce blog, mais je vais faire une exception pour ce roman qui m’a secouée, chamboulée et surtout ébranlée, de la meilleure manière qui soit.

Rapide présentation 

« En descendant de l’avion à Lagos, j’ai eu l’impression d’avoir cessé d’être noire. »

Ifemelu quitte le Nigeria pour aller faire ses études à Philadelphie. Jeune et inexpérimentée, elle laisse derrière elle son grand amour, Obinze, éternel admirateur de l’Amérique qui compte bien la rejoindre.
Mais comment rester soi lorsqu’on change de continent, lorsque soudainement la couleur de votre peau prend un sens et une importance que vous ne lui aviez jamais donnés, quand tout à coup le fait d’être noir est censé dicter vos réactions et vos pensées ?
Obinze partira finalement en Angleterre et, pendant quinze ans aux États-Unis, Ifemelu tentera de trouver sa place au sein d’un pays profondément marqué par le racisme et la discrimination. De défaites en réussites, elle trace son chemin, pour finir par revenir sur ses pas, jusque chez elle, au Nigéria.

Mon avis 

J’ai commencé ce roman sur les bons conseils de Miss Tete de Litote, qui en parlait dans une de ses vidéos (je vous encourage vivement à découvrir sa chaîne si ce n’est pas déjà fait ! ). Je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre, vu que je n’avais jamais lu cette auteur.

Heureusement que j’ai réparé cette erreur, car Chimamanda Ngozi Adichie entre directement dans mon panthéon personnel, cet havre livresque où les romans  – et leurs auteurs  – qui m’ont marquée, chamboulée, fait pleurer ou rire aux éclats sont soigneusement consignés.

Autant vous prévenir tout de suite – Americanah n’est pas un récit linéaire. Il alterne entre longs flash-backs et retours rapides au présent, il change de narrateur, il a ce côté un peu surréaliste avec ses articles de blog entrecoupant le récit. Perso, je n’ai pas ressenti de difficulté à entrer dans ce roman, tant il est immersif, complexe sans pour autant perdre son lecteur. C’est un récit qui vous happe lentement, insensiblement, avec son style ciselé, un vrai petit bijou, ses voix envoûtantes, intriguantes, que ce soit celle d’Ifemelu ou d’Obinze, les deux points de vue. Avant même que vous vous en rendiez compte, Americanah vous a pris dans ses filets et je vous garantis que vous n’en sortirez pas indemne.

Americanah, c’est aussi un roman -caméléon, un livre qui ne se laisse pas étiqueter. Au moment où vous croyez l’avoir cerné, l’auteur vous entraîne dans une toute autre direction, et ce, avec un immense talent. Au coeur du récit, on a une histoire d’amour, celle d’Ifemelu et d’Obinze, deux jeunes gens qui n’étaient pas destinés l’un à l’autre, mais entre lesquels ça clique immédiatement. Une romance tendre, qui comporte son lot d’épines aussi, alors que l’auteur nous dresse un portrait de la jeunesse nigériane, de son système éducatif et de la vie universitaire.

Obinze rêve de l’Amérique, Ifemelu aussi, sans doute pas avec la même ferveur, mais avec cette espérance que là-bas, les choses sont différentes. Là-bas, la « vraie vie » commence.

Alexa, et les autres invités comprenaient tous la fuite devant la guerre, devant la pauvreté qui broyait l’âme humaine, mais ils étaient incapables de comprendre le besoin d’échapper à la léthargie pesante du manque de choix. ils ne comprenaient pas que des gens comme lui, qui avaient été bien nourris, qui n’avaient pas manqué d’eau, mais étaient englués dans l’insatisfaction, conditionnés depuis leur naissance à regarder ailleurs, éternellement convaincus que la vie véritable se déroulait dans cet ailleurs, étaient aujourd’hui prêts à commettre des actes dangereux, des actes illégaux, pour pouvoir partir.

Americanah, c’est aussi le récit de l’immigration, l’envers du décor, qui nous montre à quel point l’intégration et ces fameux slogans dont on aime nous rabâcher les oreilles deviennent des buts parfois impossibles à atteindre. Que ce soit Ifemelu aux Etats-Unis, confrontée de plein fouet à l’héritage racial, qui se découvre noire, un statut qui va de pair avec une culture où elle-même se sent étrangère ou encore Obinze en Grande-Bretagne, impliqué dans un mécanisme qui risque de le broyer, une réalité bien différente de ses rêves dorés.

L’auteur nous parle sans ambages de la misère au quotidien, de l’angoisse, de la peur de ne pas y arriver, de l’argent qui manque, de l’absence de solidarité et des préjugés que les personnages se prennent en pleine face. C’est dur, difficile, mais ce sont des passages nécessaires.

Ce qui m’a particulièrement marquée dans Americanah, c’est cette révélation, petit à petit, d’autres réalités. Des réalités différentes, dont j’avais certes conscience, mais dont je ne mesurais pas tous les détails, l’infinie complexité dans la vie quotidienne. C’est un roman qui ouvre les yeux, qui fait exploser les barrières et qui m’a réellement fait réfléchir sur les questions de race & de genre.

Si vous dites que la race n’a jamais été un problème, c’est uniquement parce que vous souhaitez qu’il n’y ait pas de problème. Moi-même je ne me sentais pas noire , je suis devenue noire qu’en arrivant en Amérique. Quand vous êtes noire en Amérique et que vous tombez amoureuse d’un Blanc, la race ne compte pas tant que vous êtes seuls car il s’agit seulement de vous, et de celui que vous aimez. Mais dès l’instant où vous mettez le pied dehors, la race compte. Seulement nous n’en parlons pas. Nous ne mentionnons même pas devant nos partenaires blancs les petites choses qui nous choquent et que nous voudrions qu’ils comprennent mieux, parce que nous craignons qu’ils jugent notre réaction exagérée ou nous trouvent trop sensibles.

Que l’auteur parle des relations entre Blancs & Noirs, des soins capillaires apportés aux cheveux crépus ou encore de l’élection de Barack Obama, tous ces récits s’insèrent naturellement, comme allant de soi, dans le cours du récit. J’ai particulièrement aimé les extraits du blog que tient Ifemelu lors de son séjour aux Etats-Unis.

Mes cheveux épais et naturels feraient leur effet si j’avais un entretien pour être chanteuse dans un orchestre de jazz, mais il faut que j’aie l’air professionnel pour cet entretien, et professionnel signifie avoir les cheveux raides. S’ils devaient être bouclés, il faudrait que ce soit des boucles de Blanche, souples, ou au pire des anglaises, mais jamais des cheveux crépus.

Je pourrais vous parler de ce roman pendant des heures, mais le meilleur, bien entendu, reste que vous le découvriez par vous-mêmes. Que vous vous laissiez gagner par les voix d’Americanah, que vous voyagiez avec elles sur le sol nigérian, britannique ou américain et que vous aussi, vous puissiez ressentir ce charme puissant, incisif, l’essence même de ce roman.

7 réflexions sur “[Chronique] Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie

  1. Bonjour,
    merci pour cette chronique. Les questions de race et de genre sont d’une réelle importance, aux US mais aussi en France. J’ai fait un billet de blog sur ce que ça pose comme problèmes en littérature jeunesse, également à partir d’un livre français lu il y a peu (pas de la fiction) « maman noire et invisible ». Un petit guide de grossesse pour les mamans noires qui épingle le même genre de choses et qui fait réfléchir !
    Mon article : http://blog.squiddykid.com/fr/2016/01/06/lurgence-de-la-diversite-en-litterature-jeunesse/
    Au plaisir d’avoir ton avis étant toi-même auteur 😉
    Bonne journée

    Aurélie

    • Hello Aurélie, et mercid e ton passage ici. C’est clair que ces questions sont aussi essentielles dans le climat français qu’américain. J’ai été lire ton billet et je salue de tout coeur ton initiative, je vais surveiller ça avec grand intérêt !
      Idem pour les titres que tu mentionnes 😉
      Pour l’édition traditionnelle vs la diversité, vu que c’est une question qui me tient à coeur également,je voulais aussi ajouter mon petit grain de sel. Je comprends parfaitement que tu aies l’impression de ne rien voir bouger dans ce domaine, néanmoins je pense vraiment que les choses sont en train d’évoluer – que ce soit en Francophonie ou ailleurs. Ce ne seront peut-être pas des titres qui se retrouveront en tête de rayon (quoique !) mais il existent. J’en ai déjà chroniqué plusieurs ici, sans compter tous ceux qui me restent à découvrir ^^ En tout cas, merci de ton passage ici et de la découverte 🙂

  2. Pingback: Coffee Book Tag ! | Cindy Van Wilder

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