Le mardi sur son 31

Un mardi sur son 31 sur un roman-choc : autant vous prévenir tout de suite « Kinderzimmer », c’est une claque littéraire.

Kinderzimmer_couv

A l’origine de cette lecture, il y a Cécile du blog les lectures de Cécile  inaugurant un challenge « Rentrée littéraire ». Le principe en est simple : lire 6 romans parus lors de cette rentrée littéraire. J’avais déjà remarqué « Kinderzimmer », d’une part pour son thème – la seconde guerre mondiale est un de mes favoris – d’autre part, en raison des chroniques. Well, il n’en fallait pas plus pour que je sois embarquée (de mon plein gré) dans une lecture commune ! Celle-ci a d’ailleurs été une chouette expérience!

Revenons au roman. Sans plus tarder donc, voici la phrase de ce mardi :

« Surgiront aussi des sons sans images ; triangle rouge, organiser, transport noir, érysipèle, lapins, cartes roses, NN, [chtoubova], [blocova], [chtrafbloc], [arbaïtsapel], [chmoukchtuc], [ferfugbar], [chlague], [revire], [komando], [yougueuntlagueur], [lagueurplatz], [chvaïneraille], [vachraoum], [aoufchtéheun], [chaïsecolone], [planiroung], [chraïberine], [kèleur], [loïseu]. »

Cette phrase est intéressante à plus d’un titre : d’abord, parce que je me suis amusée à retrouver les mots en allemand à partir de ces phonèmes (si je ne me trompe pas… mes études de linguistique sont déjà loin !) ; ensuite, pour l’ambiance que l’auteur parvient à faire passer en ces quelques mots. On imagine sans peine Mila, le personnage principal, terrifiée par ces mots hurlés au visage des prisonnières, ces insultes qu’elle devinait sans les connaître. Et c’est enfin d’autant plus fort de jouer sur ces mots pour instiller la peur panique, surtout dans le cadre d’un camp de concentration. Ce passage m’a énormément marqué.

Le 4e de couv’ :

« Je vais te faire embaucher au Betrieb. La couture, c’est mieux pour toi. Le rythme est soutenu mais tu es assise. D’accord ?
– Je ne sais pas.
– Si tu dis oui c’est notre enfant. Le tien et le mien. Et je te laisserai pas.
Mila se retourne :
– Pourquoi tu fais ça ? Qu’est-ce que tu veux ?
– La même chose que toi. Une raison de vivre.”
 
En 1944, le camp de concentration de Ravensbrück compte plus de quarante mille femmes. Sur ce lieu de destruction se trouve comme une anomalie, une impossibilité : la Kinderzimmer, une pièce dévolue aux nourrissons, un point de lumière dans les ténèbres. Dans cet effroyable présent une jeune femme survit, elle donne la vie, la perpétue malgré tout.
Un roman virtuose écrit dans un présent permanent, quand l’Histoire n’a pas encore eu lieu, et qui rend compte du poids de l’ignorance dans nos trajectoires individuelles. »

 Sur le roman en lui-même, ce que j’ai aimé :

* L’énorme travail de recherche que sa conception a dû demander : c’est un aspect qu’on oublie trop souvent de souligner, et je salue d’autant plus l’auteur qu’elle n’assomme pas le lecteur d’emblée de jeu avec des faits et des chiffres. Au contraire, elle la transmet par le regard d’une jeune femme ignorante (et à plus d’un titre), une innocente qui est broyée par l’enfer où elle débarque.

* Le rapport à l’enfant. Je ne pense pas spoiler en disant que Mila est enceinte. Et que forcément, la question de l’enfant se pose tôt ou tard. Il y a des phrases terribles, des mots qui vous marquent au fer rouge dans ce roman et pas seulement pour l’horreur qui y est véhiculée. Au début, loin de l’image d’Epinal de la femme se découvrant enceinte, Mila est désespérée, atterrée par cette mort qu’elle porte en elle, dans son ventre. La mort est autour d’elle, la mort est aussi en elle. Il faudra un long et douloureux parcours, semé d’épreuves irréversibles, pour que cette image la quitte. Je n’en dirai pas plus, mais sachez que les dernières pages sont absolument poignantes.

* La fin. Justement, en parlant de ces dernières pages, elles ont représenté une bulle d’oxygène bienvenue dans ce roman. Ne vous y trompez pas, l’auteur n’offre pas de « happy end », qui serait d’ailleurs absolument illogique. Mais il y a des moments de grâce, des éclaircies d’espoir fugitives dans un ciel décidément bien sombre, qui m’ont profondément émue.

Ce que j’ai moins aimé :

* Le style. Il a été un élément décisif dès les premières pages. L’auteur nous offre des phrases assez longues, dans un style très brusque, semé de mots indépendants, de virgules qui vous font l’effet de coups de hache, de changements du « je » en « tu » et en « il ». Si je comprends la logique derrière ce style – très puissant au demeurant – il est vrai que le lire sur l’espace d’un roman peut se révéler lassant. Parfois usant. S’il nous donne l’opportunité d’approcher au plus près les sentiments de Mila, il peut rebuter le lecteur. Un choix d’auteur en tout cas, qui ne m’a pas laissée indifférente.

* Mila. Ca peut sembler contradictoire après tout ce que je viens de dire, mais là aussi, je ne peux en dévoiler de trop. Là aussi, je comprends le choix de l’auteur dans la caractérisation de son personnage, néanmoins, j’aurais aimé voir, je pense, d’autres facettes de son caractère, qui interviennent un peu trop tard à mon goût dans la lecture. Goût personnel, je le reconnais !

En tout cas, « Kinderzimmer » ne laisse en aucun cas indifférent. Je me souviendrai longtemps de ce roman, de ces personnages et je suivrai avec intérêt les productions de l’auteur !

Kinderzimmer – Valentine Goby chez Actes Sud.